Mathieu RICARD – Extraits
EXTRAIT DE « L’ESPRIT DU TIBET »
Mathieu RICARD
Comme tous les êtres, vous voulez êtres heureux ; Comme tous les êtres, vous ne voulez pas souffrir.
Pour vous habituer à vous soucier d’avantage des autres que de vous-même, Imaginez que vous vous échangez contre autrui.
A mesure que vous inspirez et expirez, Prenez ses souffrances sur vous et donnez-lui votre bonheur.
Comprenez que tous les phénomènes sont le jeu de l’absolu, La nature originelle, l’état naturel immuable.
Si vous ne vous attachez point, tout ce qui surgit se libère de lui-même. Préservez simplement la grande saveur unique, sans rien saisir ni rejeter.
Les gens puérils, ne sachant rien de tout cela, Prennent les choses comme solides et réelles !
Ainsi commence la chaîne des attractions et des répulsions. Et la grande souffrance du devenir – un drame dénué de réalité !
Quelle en est la cause profonde ? C’est l’ignorance qui nous pousse à croire, Qu’êtres et choses ont une réalité solide.
L’existence conditionnée provient, De l’accoutumance à cette erreur. Shéchen Gyeltsap
Sans rien lui ajouter – Ni rien lui enlever, Contemple l’authentique de manière authentique, Et la vision de l’authentique te libérera. Sutra de l’essence du ciel
La réalisation comprend trois étapes : la compréhension intellectuelle, l’expérience méditative et la compréhension directe. La première est une connaissance théorique qui découle de l’étude des enseignements. Elle est nécessaire, mais elle n’est pas très stable. On la compare à une pièce rapportée sur un tissu, qui finira par se détacher. Elle ne donne pas assez de force pour résoudre les situations bonnes ou mauvaises qui surgissent dans notre vie. Si nous rencontrons de véritables difficultés, aucune compréhension ne nous permettra de les surmonter.
Les expériences méditatives sont comparées à de la brume ; elles sont appelées à disparaître. Si vous vous concentrez sur votre pratique dans un lieu retiré, diverses expériences ne manqueront pas de surgir. Mais ces expériences ne sont pas du tout fiables. Il est dit : « Les méditant qui courent après les expériences comme les enfants après l’arc-en-ciel feront fausse route. » Quand on pratique intensément, il est possible d’avoir soudain des moments de clairvoyance ou d’autres signes d’accomplissement, mais ils ne font que susciter en nous l’espoir et l’orgueil. Ce ne sont que ruses de démons et sources d’obstacles.
On dit qu’il est plus difficile de faire face aux bonnes circonstances qu’aux mauvaises, parce que les premières nous distraient davantage. Si nous possédons tout ce que nous désirons – maison confortable, nourriture, vêtements, richesses – plutôt que de nous y attacher de façon compulsive, considérons-les comme aussi illusoires que des biens possédés en rêve. Si quelqu’un se met en colère contre nous ou nous menace, il est relativement facile de méditer sur la patience ; ou, si nous tombons malades, de supporter la douleur. Puisque ces situations nous font souffrir et que la souffrance nous fait naturellement penser au Dharma, nous avons moins de peine à les intégrer à notre pratique de la voie. Mais quand tout va bien et nous sommes heureux, nous acceptons volontiers cette aubaine. Comme l’huile que l’on passe sur la peau, l’attachement se mêle facilement à notre esprit et demeure invisible. Il devient partie intégrante de nos pensées. A ce moment-là, nous devenons infatués de nos réussites, de notre renommée ou de notre richesse, et cet état d’esprit est très difficile à abandonner.
Enfin la réalisation authentique est comme une montagne qu’aucun vent ne peut ébranler, ou comme le ciel bleu immuable. Les bonnes et les mauvaises circonstances, même par milliers, ne provoquent ni attachement ni aversion, ni espoir ni crainte. On lit dans les textes que celui qui possède une telle réalisation ne sera « pas plus réjoui que la personne qui, à côté de lui, agite un éventail de santal que terrifié par celle qui, de l’autre côté, brandit une hache ». Pour lui, toute perception erronée a disparu. A ce stade-là, chaque situation, bonne ou mauvaise, permet de progresser sur la voie. Khyentsé Rinpoché
Ce que l’on appelle d’ordinaire l’esprit, c’est l’esprit égaré, un tourbillon de pensées attisées par le désir, la colère et l’ignorance. Cet esprit-là, au contraire de la conscience éveillée, se méprend sans cesse. A l’occasion d’une rencontre imprévue avec un ami ou un ennemi, des pensées de désir ou de haine surgissent soudain de façon fortuite. A moins d’être aussitôt maîtrisées par l’antidote appropriée, elles s’enracinent et prolifèrent, renforçant le pouvoir de notre désir ou de notre haine habituels et laissant chaque fois dans notre esprit davantage d’empreintes karmiques.
Pourtant, si puissantes que soient ces pensées, elles ne sont que pensées et finiront par s’évanouir. Une fois reconnue la nature intrinsèque de l’esprit, ces pensées qui semblent paraître et disparaître sans cesse ne sont plus capables de nous leurrer. Comme les nuages qui se forment, demeurent un instant et se fondent à nouveau dans le vide du ciel, elles surgissent, persistent un instant et replongent dans le vide de l’esprit. En réalité, il ne s’est rien passé.
Quand des rayons de soleil frappent un cristal, on voit surgir des lumières de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Pourtant, il n’y a aucune substance saisissable. Ainsi des pensées qui, dans leur infinie variété, n’ont pas la moindre substance.
C’est cela, l’esprit de Bouddha. Il n’est pas de pensée qui ne soit vide. Si vous reconnaissez la nature vide des pensées au moment même où elles surgissent, ces pensées s’évanouiront. Le désir et la haine ne pourront jamais perturber votre esprit. Les émotions suscitées par la méprise s’effondreront d’elles-mêmes. Vous ne commettrez plus aucun acte négatif, et par conséquent aucune souffrance ne s’en suivra. Khyentsé Rinpoché
Le marin doit traverser l’océan pendant qu’il a un bateau ; le général doit vaincre l’ennemi pendant qu’il possède une armée ; le pauvre doit traire la vache-des-souhaits pendant qu’il l’a sous la main ; le voyageur doit chevaucher vers les contrées lointaines pendant qu’il dispose d’un excellent cheval. Et vous, maintenant que vous possédez une précieuse existence humaine et un maître spirituel qui incarne tous les bouddhas des trois temps, pensez avec joie et enthousiasme à parcourir la grande voie du Dharma suprême, vous rapprochant sans cesse du but ultime que sont l’Éveil et la libération. Shabkar
Effrayé par la mort, j’allais dans les montagnes, A force de méditer sur son heure incertaine, J’ai pris l’immortel bastion de l’Immuable. A présent, ma peur de la mort est bien dépassée ! Milarépa