RAMANA MAHARSHI – Extrait
RAMANA MAHARSHI – Le Libéré-vivant
Extraits de textes du livre présenté par Ysé Tardan-Masquelier (2010)
Il est né le 30 décembre 1879 à Tiruchuzli, en Inde du Sud. Il reçu le prénom de Vankatraman.
Enfant, hormis une mémoire prodigieuse, et une capacité à s’absorber dans un sommeil cataleptique, Ramana Maharshi mena une vie tout à fait commune. C’est entre quinze et dix-sept ans qu’il reçoit trois ébranlements qu’il interpréta comme les signes de sa vocation, dont celui de faire une étonnante « expérience de mort », épisode inaugural de sa vie spirituelle, en ce qui le « délivre » définitivement de l’attachement à sa propre personne et de toute peur de perdre ou de souffrir.
Alors débute une période d’ascèse d’une violence déconcertante, et pourtant bien conforme aux coutumes du monde indien. Pendant trois ans, il fait « tapas » sous l’un des portiques du grand temple de Shiva. Le renonçant, en attisant par des austérités extrêmes le feu qui l’habite, se « cuit » lui-même pour obtenir son salut et faire rayonner la sagesse autour de lui. Son corps est couvert de plaies dues à l’immobilité de la posture et aux insectes. Dans l’état d’indifférence extatique où il se trouve, on lui met la nourriture directement dans la bouche pour qu’il survive. Il perçoit cette absorption complète comme une initiation et une union mystique avec le dieu Shiva.
En 1899 à l’âge de 20ans, il quitte le temple pour investir une grotte de la montagne sacrée et continue à se vouer à un silence quasi permanent. La rumeur de son ascèse grandit d’un renonçant qui, à l’orée de l’âge adulte, a déjà atteint les sommets de la sagesse.
En 1912, Ramana Maharshi tombe dans une sorte de malaise comateux qui lui rappel sa première expérience de la mort ; il décide alors de retourner à une existence plus normale et d’assumer activement sa mission de gourou.
Afin de mieux recevoir pèlerins et disciples, il accepte la construction d’un minuscule ermitage à flanc de montagne. A mi pente, facile d’accès avec son jardin étroit et ravissant, on y respire une atmosphère comme imprégnée de l’ascèse intense, de la puissante méditation du sage.
En 1922, Ramana Maharshi déménage dans un ashram plus grand situé au pied de la même montagne. Viennent de partout pauvres et puissants, Indiens et étrangers. Son mode d’existence est simple et accessible ; il enseigne ou reste silencieux, mais par sa simple présence, la grâce du libéré-vivant se répand sur l’assistance.
Il meurt en 1950 après de grandes souffrances physiques liées à un cancer. Il est enterré plutôt qu’incinéré, car les renonçant ont déjà brûlés leur être empirique au feu de leur ascèse ; d’ailleurs on ne dit pas qu’ils sont morts, mais qu’ils sont entrés dans le Mahâsamâdhi, le samâdhi définitif, état libéré de toute réincarnation dans le cycle des renaissances.
Son enseignement semble d’une simplicité déconcertante. Cela consiste à se demander sans cesse : « qui suis-je ? », « quel est ce « je » que je croit être et qui, dans l’expérience spirituelle, s’évanouit devant un Soi impersonnel ? ». Ramana Maharshi appelle cela vichâra l’ « enquête », qui est aussi une « quête » de l’essentiel. Cela n’est pas à la portée de n’importe qui en n’importe quelle situation. Car « le mental ne saurait être maîtrisé que par un effort incessant, tel celui qui serait nécessaire pour vider l’océan, goutte à goutte, à l’aide d’un brin d’herbe », disait déjà Gaudapada, l’un des premiers maîtres védântins.
« Ainsi donc, en ce jour où j’étais assis seul, j’allais bien. Mais tout à coup me saisit une peur de mourir sur laquelle il était impossible de se tromper. Je sentis que « j’allais mourir », et me mis à penser tout aussitôt à ce que je devais faire. Je n’eus cure de consulter médecins ou personnes d’expérience et d’autorité, ni même mes amis. Je sentis que j’avais à résoudre le problème moi-même.
Le choc de la peur de mourir me rendit d’un coup introspectif ou « introverti ». Je me dis mentalement à moi-même, c’est-à-dire sans prononcer les paroles : « Eh bien ! La mort est venue. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que mourir ? C’est ce corps qui meurt. » Je mimai immédiatement la scène de la mort. J’imitai l’attitude cadavérique pour donner une atmosphère de réalité à mes investigations intérieures. Je retins mon souffle et gardai ma bouche close, pressant étroitement les lèvres pour qu’aucun son n’en pût sortir. Ni que le mot Je ni aucun autre mot ne fût prononcé.
« Bien donc, me dis-je à moi-même. Ce corps est mort. On le portera tout raide au champ crématoire où il sera brûlé et réduit en cendres. Mais avec la mort de ce corps, suis-je mort, moi ? Est-ce que le corps est moi ? Ce corps est silencieux et inerte. Mais j’éprouve toute la force de ma personnalité et même le vocable « Je » en moi-même, à part le corps. Ainsi, « Je » suis un esprit, une chose qui transcende le corps. Le corps matériel meurt, mais l’esprit qui le transcende ne peut être touché par la mort. Je suis donc un esprit immortel. » Tout ceci n’était pas un simple procès intellectuel. Tout ceci flamboyait avec une (extrême) vivacité devant moi comme la vérité vivante, quelque chose que je percevais immédiatement, presque sans raisonnement.
Depuis ce moment, la crainte de la mort s’était aussitôt évanouie et pour toujours. D’autres pensées peuvent aller et venir comme les notes diverses que joue le musicien, mais le Je perdure comme la note de base qui accompagne toutes les autres et se fond avec elles.
J’avais changé quant à mes goûts, ou à mes dégoûts, concernant la nourriture, et j’avalais avec indifférence tout ce que l’on me donnait, que ce fût savoureux ou insipide, bon ou mauvais.
Autrefois, j’allais très rarement au temple, avec des amis. Mais, après le réveil, je me rendis au temple presque chaque jour. Je pris l’habitude d’y aller seul, et je m’attardais longtemps devant une statue de Shiva, ou de Minakshi, ou de Nataraja, ou des soixante-trois-saints, cependant que des vagues d’émotions me submergeaient. Mon âme avait abandonné le support du corps lorsque je renonçai à l’idée : « Je suis le corps », et que je cherchai de nouvelles amarres. Parfois je priais pour que la Grâce de Ishvara, le Contrôleur de l’Univers et de toutes les destinées, l’Omniscient, l’Omniprésent descende en moi. Plus souvent encore, je ne priais pas, mais je laissais, en silence, s’écouler le flot qui montait des profondeur de mon être. Les pleurs, qui accompagnaient ce débordement de l’âme, n’étaient pas signe d’une joie ou d’une peine particulières. Je n’étais pas un pessimiste. Je ne savais rien de la vie, et je n’avais pas appris qu’elle était pleine de tristesse. Je n’étais animé par aucun désir d’éviter de renaître, ou de chercher la « libération ». Je ne souhaitais même pas obtenir l’impassibilité dans le salut.
Tout être humain aspire toujours à un bonheur qui ne soit gâté par le chagrin ; et chacun de nous ressent le plus grand amour pour lui-même, ce qui est simplement dû au fait que le bonheur est notre réelle nature. Ainsi, afin de réaliser ce bonheur durable, il est essentiel que nous nous connaissions nous-mêmes. Pour atteindre une telle connaissance, se poser la question « Qui suis-je ? » est le moyen « par excellence ».
« Qui suis-je ? » Je ne suis pas le corps physique, je ne suis pas non plus les cinq organes de la perception (les yeux, les oreilles, le nez, la langue et la peau, avec leurs fonctions respectives correspondantes : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher) ; je ne suis pas les cinq organes d’activité externe (les organes vocaux qui articulent la parole et produisent le son, les mains et les pieds qui gouvernent les mouvements du corps physique, l’anus qui excrète les matières fécales et l’organe génital qui permet le plaisir), je ne suis pas non plus les cinq forces vitales (qui contrôlent la respiration, la digestion et l’assimilation, la circulation du sang, la transpiration et l’excrétion), je ne suis même pas l’esprit pensant. Je ne suis pas non plus cet état inconscient d’ignorance, qui retient seulement les subtiles vasana (tendances de l’esprit), et qui me rend libre alors de l’activité fonctionnelle des organes des sens et de l’esprit, et ignorant de l’existence des objets et de la perception.
En conséquence, après avoir rejeté sommairement tous les accessoires physiques mentionnés ci-dessus et leurs fonctions, après m’être dit : « Je ne suis pas ceci ; non, je ne suis pas non plus ceci, ni cela », la seule chose qui reste alors, isolée, cette pure Connaissance, voilà ce que je suis véritablement. Cette Connaissance est par nature même Sat-Chit-Ananda (Existence-Conscience-Béatitude).
Si le mental, instrument du savoir et base de toute activité, diminue, la perception du monde en tant que réalité objective cesse.
Le mental est un pouvoir unique (shakti) dans l’ âtman, par l’intermédiaire duquel les pensées nous parviennent. Si, après avoir éliminé toute pensée, nous recherchons minutieusement ce qui reste, nous trouvons que le mental n’existe pas en dehors de la pensée. Donc les pensées elles-mêmes constituent le mental.
Nous percevons le monde en tant que réalité apparente objective lorsque notre esprit est extériorisé et délaisse ainsi son identité avec le Soi. Quand le monde est ainsi perçu, la véritable nature du Soi n’est pas révélée ; inversement, quand le Soi est réalisé, le monde cesse d’apparaître en tant que réalité objective.
Par une investigation sérieuse et continue dans la nature même de l’esprit, l’esprit se transforme en « Cela », à quoi le « Je » se rapporte : et Cela est véritablement le Soi. Le mental ne peut exister qu’en dépendant nécessairement de quelque chose de plus grand. Il ne subsiste jamais par lui-même. C’est ce mental que l’on appelle, en d’autres termes, le corps subtil, l’ego, le jîva, ou l’âme.
Puisque toute pensée ne peut se former qu’après la naissance de la pensée « Je », et puisque le mental n’est rien qu’un amoncellement de pensées, il ne peut être soumis qu’au moyen de la question « Qui suis-je ? ». En outre, la pensée intégrale « Je », implicite dans une telle question ayant détruit toutes les autres pensées, finit par se détruire elle-même ou par se consumer, de même que le bâton employé pour remuer le bûcher funéraire est finalement brûlé.
Qu’importe le nombre de pensées qui se présentent à vous, si, avec une vigilance aiguë vous vous posez la question « Qui suis-je ? », le mental change de direction et la pensée naissante par la même occasion. De cette façon, en persévérant de plus en plus dans la pratique de la recherche du Soi, le mental acquiert une force et un pouvoir plus grands pour demeurer dans sa Source. Si de cette façon le mental est absorbé dans le Cœur, l’ego ou le « Je », centre de la multitude des pensées disparaît finalement, et la pure Connaissance (conscience) ou Soi, qui subsiste durant tous les états de l’esprit, se dresse seule resplendissante.
Cet état de simple adhérence à l’Être pur est connu comme la Vision de la Sagesse. Une réelle adhérence signifie et implique la sujétion complète du mental au Soi. C’est en fait le pouvoir infini du Seigneur qui ordonne, soutient et contrôle tout ce qui arrive. Pourquoi donc, en ce cas, devrions-nous languir tourmentés par des pensées fâcheuses ? Sachant parfaitement que le train transporte tout le poids, pourquoi en vérité devrions-nous, nous les passager voyageant dedans, porter les petits bagages personnels sur nos genoux, pour notre plus grande incommodité, au lieu de les mettre de côté et de nous asseoir tout à fait à l’aise ?
Ce monde des phénomènes, cependant, n’est rien que pensées. Quand le monde s’éloigne de notre vue – c’est-à-dire quand le mental est libre des pensées -, il jouit de la Béatitude du Soi. Inversement, quand le monde apparaît – c’est-à-dire quand la pensée s’élève -, le mental éprouve douleurs et angoisses. Ainsi l’âme ou jîva, soumise aux trois activités de création, préservation et destruction, accomplit des actes selon son karma (fruits des actions passées qui se paie dans la vie présente) et s’abaisse pour se reposer après une telle activité. Mais le Seigneur Lui-même n’a pas de résolution ; aucun acte ou événement ne peut même effleurer son Être. Cet état d’isolement immaculé semblable à celui du soleil, non touché par les activités de la vie, ou à celui de l’éther, non affecté par l’interférence des qualités complexes des quatre autres éléments.
La connaissance relative a besoin d’un sujet et d’un objet. Tandis que la conscience du Soi est absolue et n’a pas besoin d’objet.
De la même façon, la mémoire est relative ; elle a besoin d’un objet à se remémorer et d’un sujet qui gouverne. Quand il n’y a plus de dualité, qui se souvient de quoi ?
Les gens veulent voir le Soi comme quelque chose de nouveau. Mais il est éternel et demeure continuellement identique. Il n’est ni lumière ni obscurité. Il ne peut être défini. La meilleure définition est : « Je suis ce que je suis ». Il est simplement existence.
L’état que nous appelons réalisation c’est simplement être soi-même, sans chercher connaître quoi que ce soi. Cet état est indescriptible. On ne peut qu’être cela.
Toutes les autres connaissances sont des connaissances frivoles et sans intérêts.
Question : Si quelqu’un est engagé dans un travail, il lui reste peu de temps pour la méditation.
Réponse : Réserver du temps à la méditation, cela ne vaut que pour les plus novices des aspirants spirituels. Une personne plus avancée va commencer par ressentir une béatitude de plus en plus grande, qu’il soit au travail ou non. Pendant que ses mains seront occupées dans la société, il gardera sa tête au calme dans la solitude.
Question : Pourquoi la concentration est-elle inefficace ?
Réponse : Demander à l’esprit de tuer l’esprit c’est comme faire d’un voleur un policier. Il ira avec vous et prétendra attraper le voleur mais rien ne se passera. Il faut donc vous tourne vers l’intérieur et voir d’où surgit l’esprit ; à ce moment là, il cessera d’exister.
Dhyâna est atteint par un effort mental dirigé, tandis qu’il n’y a pas d’effort de cette sorte, pour l’obtention du Samâdhi.